En l’espace de quelques années, les « GAFAM » sont passés du statut d’entreprises de services numériques à celui d’acteurs économiques et politiques majeurs, à même d’entretenir un rapport de force avec les États. Comment le pouvoir des géants du numérique s’incarne-t-il et quels sont les enjeux qui en découlent ? Comment les gouvernements cherchent-ils à encadrer leurs pratiques, tout en tirant parti de ces grands groupes pour défendre leurs propres intérêts ? Jean-Baptiste Troissant nous apporte son éclairage sur la guerre qui fait rage entre les GAFAM et les États.
Quels sont les enjeux liés à la montée en puissance des géants du numérique ?
Le développement fulgurant des GAFAM soulève d’importants enjeux financiers, de souveraineté et de protection des données, qui sont aujourd’hui pris à bras le corps par les gouvernements.
Un pouvoir économique colossal
À eux seuls, Alphabet, Amazon, Meta, Apple et Microsoft ont dépassé le seuil des 10 000 milliards de dollars de capitalisation boursière en 2024. Un chiffre dont il est difficile de prendre la mesure : à titre de comparaison, le produit intérieur brut (PIB) de la France n’était « que » de 3 101 milliards de dollars pour la même année.
Alors que leurs bénéfices battent de nouveaux records année après année, les GAFAM jouissent d’un pouvoir d’influence non négligeable, qui leur permet d’entretenir un rapport de force avec les pays les plus riches de la planète.
En parallèle, ces entreprises se sont progressivement accaparé de vastes marchés, créant de véritables monopoles. Elles sont aujourd’hui régulièrement accusées d’abus de position dominante, un comportement qui consiste à dissuader l’entrée de nouveaux concurrents ou à éliminer ces derniers.
Une souveraineté numérique menacée
Au-delà de l’enjeu économique, les géants du numérique apparaissent désormais comme une menace pour la souveraineté numérique, en particulier en Europe.
« Les États ont confié pendant des années la gestion du numérique à ces sociétés privées, considérant peut-être qu’il s’agissait d’un sujet secondaire. Il aura fallu attendre les années 2010 pour que les gouvernements commencent à réagir face à ces grands groupes, non seulement pour des raisons financières, mais aussi pour des questions de souveraineté numérique. Sur mobile, par exemple, 100 % des systèmes d’exploitation que nous utilisons sont américains, puisqu’ils viennent de Google ou d’Apple. La Chine a développé ses propres systèmes ; en retour, les USA ont interdit les systèmes chinois sur leur territoire. Les Européens aimeraient en faire autant mais ils ne disposent pas d’un bassin technologique suffisant pour proposer de vraies alternatives. »
Jean-Baptiste Troissant, Chef de projets chez A5SYS
Des données personnelles hors de contrôle
Un part non négligeable de l’activité des géants du numérique repose sur l’exploitation massive de données. Toutefois, la manière dont ces informations sont utilisées pose question.
« Dans les années 2010, de nombreux scandales ont éclaté par rapport à l’utilisation des données, le plus connu étant Cambridge Analytic. Nous savons aujourd’hui que toutes les informations que nous voyons sur ces plateformes sont triées, préparées par des algorithmes : elles peuvent donc être manipulées à des fins politiques, par exemple. »
Jean-Baptiste Troissant, Chef de projets chez A5SYS
Le risque de désinformation ou de manipulation ne doit pas faire oublier que les données ont une immense valeur financière. Revendues à des tiers, elles génèrent des bénéfices importants : d’où la nécessité pour les États d’assurer une certaine traçabilité de ces informations.
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Une taxation problématique
La taxation des GAFAM est un autre enjeu majeur pour les gouvernements. En effet, ces firmes ne paient pas d’impôts dans les pays où elles vendent leurs produits, mais uniquement là où elles ont installé leur siège social.
« Pratiquement tous les grands groupes ont établi leur siège européen en Irlande, qui dispose d’une fiscalité assez avantageuse. Ils exploitent toutes les failles juridiques qui leur permettent de faire de l’optimisation fiscale, sans oublier un important effort de lobbying auprès de la Commission européenne. C’est un jeu assez complexe, car certains pays comme l’Irlande y trouvent leur intérêt, tandis que d’autres États sont lésés. »
Jean-Baptiste Troissant, Chef de projets chez A5SYS
Quels sont les défis actuels des GAFAM ?
Gestion opaque des données personnelles, abus de position dominante, optimisation fiscale…
Alors que les pratiques des GAFAM sont sous le feu des projecteurs, les géants du numérique doivent également faire face à une compétition de plus en plus féroce.
Ayant développé leurs activités bien au-delà de leur secteur initial, les grands groupes américains se font aujourd’hui concurrence entre eux. Mais ils sont aussi confrontés à l’essor d’entreprises étrangères, et surtout chinoises, qui comptent bien se tailler leur part du gâteau.
Cet accroissement de la concurrence intervient dans un contexte de guerre commerciale entre les USA et la Chine, où les intérêts financiers des entreprises et les intérêts stratégiques des États s’entremêlent.
« D’un côté, il y a la confrontation entre les géants du numérique et les États - c’est notamment le cas en Europe. Mais certains pays se servent aussi de ces grands groupes pour mener une guerre économique à leurs concurrents, à l’instar de la Chine et des États-Unis. »
Jean-Baptiste Troissant, Chef de projets chez A5SYS
Rappelons que les États-Unis avaient banni TikTok sur leur territoire en janvier 2025, avec pour objectif de forcer l’entreprise chinoise à vendre la branche américaine de ses activités.
Plus récemment encore, le gouvernement américain a interdit à Nvidia d’exporter certains processeurs et puces vers la Chine, afin de conserver une longueur d’avance sur Pékin dans le développement de technologies d’intelligence artificielle (IA) de pointe.
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Quelles stratégies adoptent les États pour contrer le pouvoir des GAFAM ?
Nous l’avons vu, les géants du numérique et les États entretiennent des relations complexes, marquées par de nombreuses divergences, mais aussi par des intérêts communs. Malgré tout, les gouvernements expriment aujourd’hui une volonté manifeste d’encadrer ces grandes entreprises.
Néanmoins, la réglementation est soumise à une inertie importante.
« Le monde numérique va beaucoup plus vite que le monde administratif. La législation a toujours un cran de retard : c’est normal, car elle est faite en réaction à de nouvelles technologies qui ne peuvent pas être anticipées. »
Jean-Baptiste Troissant, Chef de projets chez A5SYS
Les procès antitrust à l’encontre des GAFAM, qui sont en cours aux États-Unis, illustrent bien cette temporalité. En effet, ils font suite à une enquête ouverte… en 2019. Quant aux faits concernés par ces jugements, ils remontent parfois encore plus loin, à l’instar des rachats d’Instagram et de WhatsApp par Facebook, en 2012 et 2014.
Une multiplication des sanctions financières
Dans ce bras de fer entre les États et les GAFAM, l’Union européenne n’est pas en reste, puisqu’elle a déployé un arsenal législatif important au cours des dernières années. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) a ouvert le bal en 2018, apportant un cadre rigoureux à l’utilisation des données personnelles par les entreprises.
Entrés en vigueur quelques années plus tard, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) visent respectivement à mieux encadrer les activités économiques des grandes plateformes* et à lutter contre les contenus illicites en ligne.
En particulier, le DMA a pour objectif de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants du web et rétablir l’équilibre face à leur domination sur le marché numérique européen. Avec ces textes, l’Europe veut « casser l’effet réseau » instauré par ces GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft) qui enferme les consommateurs dans un écosystème et favoriser ainsi l’émergence de nouveaux acteurs innovants.
Une réglementation forte qui se traduit par une multiplication des sanctions financières. En avril 2025, Apple et Meta ont été condamnées à verser 700 millions d’euros pour non-respect du Digital Markets Act (DMA) ; quelques jours plus tard, TikTok était à son tour condamné à une amende de 530 millions d’euros.
*Sont concernés par ces obligations : les fournisseurs de services intermédiaires, notamment les fournisseurs d’accès à internet (FAI), les fournisseurs d’hébergement, les services d’informatique en cloud (en nuage) et les plateformes en ligne).
Un pouvoir de contrainte important
Au-delà des amendes, les États ont aussi un véritable pouvoir contraignant. Dans le cadre du procès antitrust contre Google, une vente forcée du navigateur Chrome est envisagée, la firme étant accusée d’abus de position dominante. Et ce type d’injonction n’a rien d’inédit, y compris en Europe.
« Par exemple, depuis 2024, il n'est plus possible d'accéder directement à Google Maps à partir des résultats Google. L’Union européenne a considéré que la présence de Maps dans le moteur de recherche constituait un abus de position dominante. Elle a donc contraint Google à modifier ses résultats de recherche. »
Jean-Baptiste Troissant, Chef de projets chez A5SYS
> Pour aller plus loin : Apple contre l’Union européenne : quel avenir pour les progressive web apps (PWA) ?
Bien que les GAFAM aient acquis un pouvoir considérable, les États réaffirment aujourd’hui leur capacité à contraindre ces grands groupes et à les sanctionner si nécessaire. Parallèlement, les gouvernements cherchent à reprendre le contrôle sur le Big Data… Au risque de tomber dans les mêmes écueils que les géants du numérique ?
« Une loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent a été votée récemment en Angleterre. Elle vise à forcer les grandes plateformes à casser leur chiffrage de bout en bout sous certaines conditions, notamment pour des enquêtes de police. Si les intentions du gouvernement peuvent sembler louables, certains pointent aussi du doigt un risque d’ingérence dans les données personnelles des utilisateurs. »
Jean-Baptiste Troissant, Chef de projets chez A5SYS
Imposer plus de contrôle aux grands groupes pour protéger les données : oui, mais dans quelles limites ? C’est là toute la complexité de cette confrontation entre États et GAFAM, qui repose sur un équilibre parfois conflictuel entre des puissances aux intérêts divers.
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